Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/168

Cette page n’a pas encore été corrigée
126
MON JOURNAL.


me baiser la main ! » L’anecdote était piquante. Je m’attendais à voir Mlle Montgolfier relever le gant avec tout le mordant de son esprit. Elle est restée fort terre à terre. Je suis parti là-dessus, me sentant quelque peu vengé.

______


DÉCEMBRE


Jeudi 1er. — Poinsot devient de plus en plus la pensée commune et constante de la maison. Je l’ai trouvé aujourd’hui fort abattu au physique et au moral. Son état s’aggrave avec la mauvaise saison. Il ne peut presque plus sortir.

Mlle Rousseau — la jeunesse et la gaieté de la maison au milieu de tant de gens âgés — l'a chaudement invité à venir vivre avec nous comme par le passé. Elle l’a fait avec une grâce charmante. Je trouvais plaisir à la laisser parler : Et juvet in toto me nihil esse domo [1].

Hélas ! ce vœu que j’ai formé moi-même bien souvent, est irréalisable. Sa famille, blessée en son amour-propre, ne le permettrait pas. En pensant à cet obstacle et à mon esclavage qui ne me laisse que de rares moments pour aller à lui, je me dis que l’amertume est au fond des choses les plus douces, même au fond de cette amitié qui

  1. « Et je me réjouis de n’être rien dans la maison » (Horace).