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MON JOURNAL.


bliable, où nous nous élancions tous deux dans une vie pleine d’espérance. Hélas ! tout s’est assombri. L’avenir m’effraye....

En quittant mon malade, je me suis traîné chez M. Villemain que j’ai trouvé jasant avec le rédacteur des Débats, Dussault, ou plutôt, l’écoutant bavarder. Comme j’arrivais, on était en train de déplorer le désintéressement des gens de lettres, défaut si contraire à leur fortune. De là, on est parti pour draper de la belle manière Cuvier, l’abbé Nicolle, etc. M. Villemain, emporté par la chaleur de la discussion, a laissé voir le fond de sa pensée politique : « Quel que soit le gouvernement des royalistes, disait-il, j’aurais plus à craindre sous les libéraux, et même sous Benjamin Constant ».

En sortant de chez lui, j’avais encore une demi-heure à moi ; j’en ai profité pour aller voir Mme Montgolfier dont l’esprit sans éclat, mais doux, est pour moi un repos. Je n’ai trouvé que sa fille. Pendant qu’elle m’engageait à m’asseoir, je voyais errer sur ses lèvres un sourire équivoque. Était-ce plaisir ou malice ? On n’aurait su dire. Ce sourire m’a glacé. Adieu la verve de ma dernière visite où j’avais trop parlé peut-être et mis trop de complaisance à montrer mon savoir tout nouveau. Cette fois, aucune vivacité, un terre-à-terre à faire pitié. Jamais on ne fut plus bon-