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MON JOURNAL.

reste un fruit sec. Notre conversation — je ne puis me servir d’un autre terme avec un élève qui a presque mon âge — notre conversation, dis-je, m’a rappelé le mot à la fois léger et spirituel de Voltaire qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre, mais qu’il est bon de retenir. « Je sacrifierais volontiers, dit-il, une hécatombe de sots pour épargner un rhumatisme à un homme aimable. »

Ensuite, est venu le tour de Gabriel Bocher. Celui-ci est encore un enfant tout novice, mais quel charme de douceur ! Quand il part, je m’attriste de l’avoir perdu. La maison me semble, tout à coup, toute vide. C’est le seul enfant qui ait jusqu’ici éveillé en moi le désir de la paternité.

Dimanche 26. — J’ai couru à Saint-Louis et j’ai trouvé l’ami au coin d’un bon feu, se rétablissant, peu à peu, par le régime et le repos. Rassuré, je n’ai presque rien eu à lui dire. Je passe ainsi d’un extrême à l’autre : tantôt tourmenté du besoin de me répandre au dehors, tantôt concentré dans ma pensée au point de n’en pouvoir sortir que par un effort. Pendant que j’étais là, son jeune frère est venu lui apporter sa grande bergère. J’ai eu un plaisir extrême à le revoir, non seulement pour sa bonne action, mais parce qu’il me rappelait ce temps si beau, inou-