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MON JOURNAL.

Lundi 20. — Toujours des alertes. J’avais admiré à la Salpêtrière l'appartement de Poinsot, simple mais spacieux. Je l’avais décidé à mêler son travail de lectures amusantes qui serviraient, dans cette triste saison, à lui éclaircir les ombres. Ce régime portait déjà ses fruits ; son humeur était plus sereine. Donc, tout allait bien.... Mais voilà qu’il a quitté la Salpêtrière ! Hier j’étais parti fort tranquillement, avec les Lettres persanes sous le bras, pour m’égayer la route. J’entre dans la cour de l’hospice et je vois mon homme en compagnie d’une drôle de figure ; c’était Frambois, l’interne dont il m’a dit tant de bien. Tous deux portaient un paquet. Poinsot me tire de ma stupeur ; il m’apprend qu’il permute avec son camarade. Dieu veuille que tous ces changements réussissent ! Nous sautons dans un cabriolet et nous roulons à Saint-Louis. Là, il a fallu se quitter. Ce mot revient toujours. Sa main que j’ai gardée un instant dans la mienne, était chaude de fièvre. Je suis rentré plein d’inquiétude. La saison s’enfonce de plus en plus dans les brouillards et dans l’hiver, la moindre imprudence peut lui être funeste.

Pour m’arracher à ces noires pensées, j’ai passé ma soirée à faire une liste méthodique de toutes mes lectures depuis 1818. Cela m’a rendu modeste sur mon acquis. J’ai trop peu lu en philosophie et en politique. L’antiquité et les moralistes,