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MON JOURNAL.

admet que les intentions seules comptent au jugement. Peu importe, dès lors, que nous ayons choqué l’ordre en croyant y contribuer. Sans doute, nous aurons du regret de nos erreurs quand nos yeux s’ouvriront à la vérité ; mais l’amour et la droiture devront nous être comptés. Supposez un homme placé dans un pays où règne l’hérésie, où l’autorité des anciens, et l’ignorance de toute autre religion l’empêche de s’éclairer sur l’absurdité de la foi qu’il pratique et d’entendre les réclamations de sa conscience : eh bien, cet homme, non seulement ne peut être puni de son erreur, mais je crois fermement, au contraire, qu’il sera récompensé d’avoir rigoureusement accompli le devoir. Si l’on rejetait mon argument comme illogique, il faudrait en venir à cette conclusion étroite que, tous les efforts tentés en ce monde, toutes les douleurs, les privations souffertes, resteraient inutiles au salut, si l’on n’avait pas eu le privilège de naître sur le petit coin de terre où domine la religion révélée. Étendons plutôt au monde entier le règne de la justice de Dieu. Ce ne sont point les jeûnes, la haire du moine, la chaise de clous du faquir qui doivent être récompensés, mais bien l’intention. Elle l’est certainement quelque part.