Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
MON JOURNAL.

l’air des émanations fugitives. Pas un promeneur.

J’avais à moi tout seul, la possession de cet Éden dont j’ai fait si longtemps mes délices… Et c’était comme le parfum à la fois doux et vague du souvenir que je respirais en même temps que celui des fleurs. Tant de choses ont passé sur ces émotions douloureuses ou charmantes, qu’il me semblait tout nouveau de traverser ces belles et silencieuses allées. Je songeais, tout en cheminant, à la vie douce que doivent mener, au milieu de cette calme nature, les botanistes qui habitent tout près et rôdent sans cesse dans ce jardin : les messieurs Thouin, par exemple. Ils ont fait comme les arbres, ils y ont pris racine.

Arrivé chez M. Leclerc, j’ai bientôt vu à qui j’avais affaire. Défendre les intérêts du libraire qui s’est confié à lui, à la bonne heure ; mais employer avec moi toutes ces petites ruses de marchand !… Je suis sorti indigné.

En revenant, j’ai passé chez M. Villemain. Un cabriolet attendait à sa porte, ce qui était d’un mauvais présage. En effet, j’allais mettre la main à la sonnette, quand mon homme ouvre la porte et se présente tout habillé. — « Mon ami, me dit-il, je suis au désespoir ; on m’attend… mais voilà un siècle qu’on ne vous a vu. Venez donc un matin déjeuner ; nous conviendrons d’une soirée pour lire ensemble. » Et, ce disant, il m’embras-