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MON JOURNAL.

d’idées, de pensées, de sentiments dans ces œuvres où tant d’hommes de génie ont usé leur vie, et se sont mis eux-mêmes. La théorie de l’art, si je l’acquiers un jour, suffira-t-elle pour me donner la clef de cet infini mystérieux ? J’irai du moins, je chercherai.

En m’examinant, je trouve que j’ai repris une activité singulière pour acquérir. Mais j’ai perdu l’impérieux besoin que j’avais, cet été, d’employer mes provisions à écrire un livre. Maintenant, je n’en ai plus aucune envie ; il me semble même que je n’aurais rien à dire. Ces mêmes dispositions d’esprit reviennent périodiquement avec les mêmes changements de saisons. Aussi pourrais-je tous les ans faire d’avance mon calendrier. Au premier printemps l’amour idéal se réveille, il devient passion au passage du printemps à l’été, alors, je voudrais être poète. Pour me dédommager, je déclame en prose. A mesure que la saison mûrit, je pense moins à moi et aux miens, et beaucoup plus à l’humanité en général. J’ai toujours en tête quelque projet utile. Vers la fin de l’automne, toute cette belle ardeur décroît avec la marche des jours et le déclin de la lumière. Le besoin de création se ralentit ; la pensée peu à peu s’endort. Mais en revanche, j’ai une grande soif de savoir n’importe quoi ; j’embrasse ordinairement alors une foule d’études diverses.