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MON JOURNAL.


le réprimande. Son camarade qui se tenait à quelque distance lui crie : « Que dit ce calicot ? » Mon sang s’échauffe, je tourne face et me mets à la poursuite du drôle qui courait devant, mais pas trop bien, car il était en sabots. Ce n’a été qu’au bout d’une centaine de pas que la raison m’est revenue. J’ai repris ma route, honteux d’un emportement irréfléchi. C’était mon sang picard qui avait pris feu. Je le gourmandais.

Arrivé chez Poinsot, je l’ai trouvé logé comme un prince, se dorlotant dans une grande bergère. Je le crois sauvé par ce changement de régime. Sa mère s’est avisée de me faire de beaux remerciements auxquels je n’ai trop su que répondre. C’était comme si elle, m’eût remercié du bien que je me fais à moi-même. Évidemment, elle ne sent pas à quel point il est moi, ou plutôt à quel point nous sommes un.

Dimanche 29. — Ce matin j’ai déjeuné au soleil, tout seul dans mon cabinet de travail, en lisant. C’était là un des plus vifs plaisirs de mon enfance : lire et manger tout doucement, surtout au soleil d’hiver. « O luces cœnæ que deum ! [1]»

Lundi 30. — Ce soir, pendant que j’étais encore à mes leçons, on est venu dire que Poinsot allait

  1. « O heures matinales, dignes des dieux ! »