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MON JOURNAL.


moi — je parle si difficilement — l'ordonnance du roi est faite pour décourager. Solitaire et sans appui, je n’ai à compter sur personne. Il y aurait peut-être, en gardant mon métier, une carrière à suivre, celle où tous s’engagent bien ou mal préparés, la carrière de l’écrivain, du journaliste. ... Mes petits succès de collège vont-ils me rendre présomptueux ? Vaine fumée ! Un style sec, décousu, sans chaleur.... Aurais-je d’ailleurs du talent, mes opinions déplairaient bientôt en haut lieu et ma position, déjà si précaire, en serait encore diminuée. Il faut y regarder lorsqu’on est tenu de gagner pour ceux à qui l’on doit tout. S’affranchir serait, en pareil cas, de l'ingratitude [1].


Dimanche 22. — Voici les premiers brouillards. L’automne décidément s’attriste. J’ai trouvé Poinsot plus faible et plus malade que je ne l’avais encore vu. Il s’est pourtant ranimé à l’espoir que je lui portais d’un retour prochain. Nous faisons des démarches pour qu’il entre à la Salpêtrière. Outre qu’il est trop occupé à Bicêtre, le régime,

  1. Il ne fut jamais ingrat. On a pu voir dans Ma Jeunesse p. 40, que Michelet, à l’âge où tous les enfants coûtent à leur famille (douze ans), aidait déjà la sienne, accablée par les rigueurs du premier Empire. Et, toujours depuis, il a continué ainsi à soutenir les siens. — Même aux plus mauvais jours du second Empire, qui fit table rase, il partageait avec ses enfants, petits-enfants et vieux parents le fruit peu rémunérateur de son travail. Il n’y eut jamais âme plus noblement généreuse....