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MON JOURNAL.


les champs et les bois au moment où tout renaît Ce sont les mélancolies de l’adieu.

A distance, je vois les rideaux de sa chambre fermés. Les pensées les plus sinistres m’assaillent. Je double le pas, je cours, et tout frémissant je vais d’abord droit à Fontaine : « Qu’a-t-il, dites-moi ? Qu’est-il arrivé ?... » Lui, tout ému de mon trouble, pourtant me rassure. J’entre, et je trouve, en effet, mon homme sur pied, mais fiévreux, étudiant mal à ce qu’il dit. Nil ego prœtulerim. Il faut encore revenir à ce vers-là. Nous sommes sortis ; il voulait m’accompagner jusqu’au village d’Austerlitz. Il a dû y renoncer. Je suis rentré fort sombre.

Dimanche 15. — J’ai grand besoin que les vacances finissent. Me voilà dans le même état que Poinsot. Même langueur, même tristesse physique. Libre de mon temps, je ne puis me déterminer à rien. Suis-je mort, suis-je vivant ? C’est presque une question pour moi. Pas un sentiment vif, pas une pensée féconde. Je me dis qu’une fois né, il faut bien s’aider à vivre ; et pourtant je n’y saurais rien faire. A la peine que j’ai de porter mes vingt ans, il me semble que je ne me serais pas du tout plaint de mourir entre les bras de ma nourrice.

Où est la délicieuse mélancolie que j’éprouvais quand je n’étais tourmenté que de ma force et de