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MON JOURNAL.


rais. J’ai choisi la route la moins inégale et je suis monté à Charonne. Le temps était doux, mais ce n’était pas le ciel de ce premier dimanche où j’allai à Bicêtre voir mon ami. Pourquoi faut-il que le passé soit toujours la chose charmante et douce à faire revivre ? De Bagnolet où je me suis approvisionné d’un biscuit, j’ai gagné les coteaux de Montreuil. Là, j’ai eu sous les yeux un tableau admirable. Devant moi et à ma droite, c’étaient d’innombrables bouquets d’arbres qui se serraient, s’épaississaient en allant vers Romainville. Toute cette verdure déjà légèrement diaprée des teintes de l’automne. A ma gauche, Vincennes et sa belle route ; au delà un peu de Paris, et les collines qui montent de la Seine aux routes de Vitry et de Choisy ; elles me cachaient Bicêtre. La nature dans cette saison est toute maternelle. Les aigreurs de la végétation, les combats physiques de l’année, se sont harmonisés dans une maturité féconde. Autour de moi, ce n’étaient que vignes chargées de beaux raisins noirs. Des paysans travaillaient gaiement et surveillaient les promeneurs. Cet immense panorama que je dominais, s’éclairait d’un joli soleil d’automne. Il sortait doucement d’un léger brouillard.

En rentrant en moi-même, je sentais que je valais moins qu’au commencement de l'été. J’admirais, mais je n’étais plus saisi, touché ; je lisais