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MON JOURNAL.

Jeudi 21. — La semaine a été longue ! Huit grands jours sans voir personne et le journal presque abandonné. J’ai vécu englouti dans le travail. C’est le seul moyen d’échapper à l’ennui d’une vie trop uniforme. L’algèbre, l’anglais, la Bible dont je lis certains passages la plume à la main, m’occupent si fort que la chaîne de mes propres idées semble interrompue.

J’ai eu bien de la peine à mener jusqu’au bout l’histoire sanglante des rois. Ce Dieu de colère est un véritable minotaure. On a beau en tuer, il lui en faut toujours davantage. Six cent mille hommes en un jour, qu’est-ce que cela ? Des montagnes de chair humaine exhaussées jusqu’au ciel, voilà son holocauste.... Les Juifs font horreur dans ces guerres d’extermination ; mais le caractère national est très fort. Tobie m’a dédommagé des Rois. Il n’y a pas d’églogue plus touchante que celle de Ruth. On croirait tous ces livres écrits de la même main. Peut-être qu’une législation si forte, imprimait un caractère d’uniformité à tous les esprits.

Samedi 23. — J’ai vu hier M. Andrieux, c’est-à-dire la tristesse même. Combien je me suis félicité, avec mon père, de n’avoir pas les embarras d’un pareil établissement [1].

Après avoir dormi sur cette pensée, j’ai pris Delphine sans trop savoir de quel côté je tourne-

  1. M. Andrieux tenait une pension de jeunes gens.