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MON JOURNAL.


trailles. Je serais donc encore un homme. Ce qui m’étouffait, c’était qu’un inférieur se vît lâchement frapper par celui qui le commande, et qu’il dût subir l’injure pour conserver son gagne-pain. Je ne pouvais dire un mot tant mes mâchoires se serraient. Dans ces occasions, Mme Rousseau est admirable. Je ne sais pourquoi j’ai honte, aussi, de montrer ma pitié.

Fuyant le bruit, la poussière, j’ai passé toute mon après-midi au Père-Lachaise. Mieux informé de la place où l’on a enterré Sophie, j’ai commencé par elle. Sa tombe est si entourée d’autres sépultures que, pour arriver jusqu’à elle, j’ai dû, à mon grand chagrin, fouler aux pieds je ne sais combien de morts.

Je me suis arrêté longtemps à cette place ! J’ai touché les guirlandes déjà desséchées qu’on a mises le jour de son enterrement. Les fleurs plantées sur le tertre, sont aussi flétries, comme si personne n’était venu depuis en prendre soin. Serait-ce déjà de l’oubli ?

Pauvre Sophie ! Pauvres morts ! Je reviendrai vous voir. De cette tombe, je considérais Paris et je l’invitais, comme à l’ordinaire, à venir chercher le bon repos après cette longue et rude journée qu’on appelle la vie. N’y serons-nous pas nous-même bientôt ? En attendant, travaillons à bien mériter de l’avenir.