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MON JOURNAL.

Rousseau dit quelque part « qu’on n’éprouve qu’éloigné de ce qu’on aime, les transports, les attendrissements de l’amitié et de l’amour ; » il croit ce trait particulier à son caractère. Il se trompe. Cette disposition doit être commune à tous les hommes, puisqu’elle se rencontre dans une âme vulgaire, qui est la mienne.

Dimanche 10. — N’allant pas à Bicêtre, j’ai voulu cependant occuper ma journée ; je me suis acheminé vers le Père-Lachaise, ma Bible sous le bras. Malheureusement, j’en étais au passage fort ennuyeux du partage des villes entre les tribus ; aussi n’ai-je lu que fort peu. Je venais chercher la place où l’on a mis mon amie d’enfance, la pauvre Sophie Plateau, morte poitrinaire sans que j’en aie rien su [1].

Je ne l’ai pas trouvée, car j’étais fort loin de l’endroit où elle a été inhumée. Le soleil était chaud et le temps orageux. J’en souffrais. Je m’obstinais cependant à chercher. On doit bien un souvenir à celle qu’on a connue si douce, si modeste ! dont on a serré la main, dont on eût désiré davantage. Un peu plus loin que l’endroit où je croyais trouver ma pauvre morte, j’ai vu à terre, attachée à un morceau de papier, une petite plante flétrie. Ce qui avait été écrit sur le papier en gros

  1. Voir Ma Jeunesse, pages 43 et 137.