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MON JOURNAL.


d’un homme supérieur à la fois, par les idées, l’exercice du raisonnement et la place qu’il occupe dans le monde. Quel droit a-t-il, après cela, d’exiger des étudiants en médecine le respect envers sa fille ou sa sœur ?... Évidemment, il ne fait plus la différence de la chair vivante et de la chair morte qu’il a si longtemps maniée.

J’ai dit à Poinsot : « Il n’y a pas une heure à perdre, il faut avertir Lucile. Mais ce n’est pas toi qui peux faire cela, tu es trop dépendant de cet homme. Il ne faut pas qu’il soupçonne de quel côté a pu lui arriver l’avis. Je vais en parler à ma marraine, elle se chargera bien de cette mission délicate. »

Mercredi 6. — Je reviens malgré moi sur cette triste conversation. Quel abîme pour des milliers de créatures ! On gagne si peu dans les métiers de femme ! Ce qui me surprend toujours, c’est qu’on puisse s’approcher d’une femme sans au moins l’aimer un peu. L’honnête homme, dans les plaisirs de hasard, croit ne céder qu’à la nature et voilà que son cœur, à son tour, se trouve pris. C’est là un péril. On peut s’apercevoir ensuite qu’on a mal choisi pour ses goûts et ses habitudes. Mais il y a un malheur encore plus grand dans la vie d’un homme, c’est de tromper une femme honnête qui s’abandonne à sa probité.