Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée
92
MON JOURNAL.


d’abattement, de venir diner avec nous ce soir. Je l’attendais avec une indicible impatience. Ne le voyant pas venir, j’allais prendre le chemin de Bicêtre quand mon homme est entré dans mon cabinet et m’a complètement rassuré.

Je venais de jeter sur le papier le plan d’un beau livre : Exhortations à mes contemporains. M’adressant aux deux partis ultras, j'essayais de les ramener, réciproquement, à des idées plus justes en morale et en politique. Un tel livre écrit avec chaleur bonne foi et charité, pourrait foire quelque bien. Pendant tout le dîner j’en ai parlé avec une animation extrême.

Je m’attendais à voir Poinsot prendre feu à son tour, et me donner vivement la réplique. Contre son ordinaire, il ne m’écoutait que d’une oreille distraite. Je voyais bien que sa pensée était ailleurs. Je le trouvais triste et le visage singulièrement altéré. Le dîner fini, nous passons dans mon cabinet. La porte n’est pas plutôt fermée, qu’il me découvre l’état de son âme, le trouble extrême, l’indignation, l’embarras où l’a jeté l’entretien qu’il vient d’avoir avec M. D.... Celui-ci, tout crûment, lui a fait l’offre cynique de lui livrer une jeune fille pour laquelle il a du goût, mais à la condition qu’il exercera sur elle, avant lui, le droit du seigneur. Je gaze les termes de la proposition. Le tout agrémenté de conseils cor-