Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée
89
MON JOURNAL.

D'autre part, je vois tous les jours, en face de ma fenêtre, chez le logeur Mercourt, un jeune artisan à moitié poitrinaire et gagnant fort peu, si j’en juge par la frugalité de son régime. L’autre jour, il frottait son pain avec une mauvaise prune. Eh bien, le soir, sa journée faite, il lit, à ce qu’on entend, les traductions des auteurs anciens. Il tâche aussi d’apprendre, tout seul, la musique. Qui sait s’il n’y a pas là un Épictète ?Sa pauvreté, sa distinction, la conformité de ses goûts avec les miens, m’a souvent donné l’envie d’aller lui tendre la main et lui demander en quoi je pourrais lui être utile. Mais je n’ai aucune facilité de paroles. Si j’allais l’humilier par maladresse ! Et pourtant, lorsqu’un homme est au-dessus des besoins indispensables, il est tenu de réserver pour la charité une part de son gain.



Il y a souvent chez les gens du peuple une délicatesse qui pourrait nous servir de leçon. La semaine dernière, allant chez M. Briand, je rencontre tout près de sa porte, un pauvre qui vient à moi. Je regarde dans ma bourse, elle était vide. Mortifié d’avoir trompé son attente, je le salue et lui fais des excuses. Ce malheureux se confond en remercîments ; il était tout surpris d’être en-