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MON JOURNAL.


plaide en faveur de notre amie. Je ne dis rien non plus de la bonne action que l'on fait en épousant une femme qui n’a rien, quand on a soi-même quelque chose.

POINSOT.


Mardi soir, 22. — Je me sens l'âme malade et pour des causes légères, plutôt des embarras que de véritables épreuves. Cette perte fréquente de l’équilibre intérieur est faite pour m’humilier beaucoup. A quoi donc m’a servi la lecture des moralistes : Épictète et le divin Jésus-Christ ? Tout cela n’a pas pénétré jusqu’au cœur ; je ne me suis nen approprié. Les malheurs véritables ont un tout autre effet que les tiraillements. Ils élèvent l’âme au lieu de l’abattre. Souvent même, un malheur réel nous dégage des entraves qui nous liaient à la terre et nous montons alors très haut. Les vulgaires embarras matériels, au contraire, nous prosaïsent, nous agitent et, presque toujours, abaissent le niveau moral. J’essaye, tous les soirs, de lire l'Imitation pour me relever, mais c’est d’une perfection désespérante.

Poret est venu tantôt, et m’a lu dans l'Allemagne la Fiancée de Corinthe. Il venait d’achever Corinne et me disait que le caractère léger et égoïste d’Orfeuil n’était pas français. J’ai répondu : « Tous les gens que je connais ressemblent au