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MON JOURNAL.


a, immédiatement, retour sur moi-même, sur mes propres pensées. En thèse générale, je considère l’état où vit un homme avec une femme — ne faisant rien contre les lois de la nature — comme aussi sérieux, je dirais même aussi saint que s’il y avait mariage. Pour mon compte, la femme qui se donnerait, n’aurait rien à craindre d’un homme que ses principes attachent à ses devoirs autant et plus que ne le feraient tous les contrats. Mais il faut prévoir le cas d’un attiédissement de la part de la femme aimée, et quelquefois pis hélas !

Eh bien, je sens d’instinct que mon inquiétude serait beaucoup moindre si je n’étais pas tenu par des liens indissolubles. Le monde, dans sa légèreté et sa sottise, tourne en ridicule un mari trompé, tandis qu’il plaint plutôt celui que trahit sa maîtresse. Moralement, l’inverse serait plus logique et plus honorable. En ce qui me touche, les vaines conventions des hommes me laissent froid. Mais où commence le trouble, c’est à la pensée que celui même qui sera la victime, hésitera à rompre ses liens. S’il y a oubli du devoir chez la femme, l’homme d’honneur se résout difficilement à étaler au grand jour sa misère ; il reste plutôt rivé à sa chaîne et souffre une agonie morale. Ces deux êtres que tant d’années d’union ont faits une seule et même chair, comment