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MON JOURNAL.


ne sais, mais celui-là ce serait moi. » Il m’aura cru dévot à sa manière.

Lundi 14. — Hier, je suis allé à Bicêtre comme à mon ordinaire. J’ai trouvé mon pauvre Poinsot très abattu. Il est urgent qu’il change d’air. Celui de Paris ne lui vaudra guère mieux. Je venais de m’épuiser sur mon papier, j’étais sans verve. En pareil cas, je me contenterais devoir souvent mes amis sans leur parler. Être ensemble, voilà tout. Je suis d’ailleurs frappé du peu qu’on a à se dire quand on reste dans le domaine des choses utiles. Le souvenir de Byron a ranimé ma verve. « D’où vient, disais-je à mon ami, que les choses exactes inspirent moins la poésie et l’éloquence ? Serait-ce parce qu’on ne détermine rien avec exactitude qu’en assignant des bornes, et que, dès lors, on ne flatte plus ce qui est la ressource de l’imagination, ce qui peut faire croître les ailes du poète : le sentiment de l’infini ?... » Une fois en si beau chemin, comment s’arrêter ? me voilà déclamant contre la misérable enveloppe qui emprisonne nos âmes, et professant pour elle le plus souverain mépris. « Ah ! si nous étions affranchis de cette gênante gaine, si nous n’étions qu’esprits ! Alors, plus d’obstacles matériels limitant nos perceptions à celles de nos sens. Tels que nous sommes, un simple mur, la plus mince