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MON JOURNAL.


pensé avec trop d’orgueil que nous n’avions pas à y perdre.

Toutes ces courses à Bicêtre ont un je ne sais quoi qui me rendra ces souvenirs bien chers. En cela comme en tout le reste, je jouis plus en me rappelant qu’en jouissant.

Cette amitié a quelque chose dirai-je de romantique ? qui ne se trouve ordinairement que dans l’amour. Je cherche à m’expliquer cette touchante et singulière conformité d’âme. C’est une méprise du Demiourgos qui a réalisé deux fois l’exemplaire éternel de la même âme, pour parler comme Platon.

Mardi 8. — Délivrance d’une grande inquiétude matérielle. Je ne serai jamais un homme d’argent. Je préfère même rester pauvre pour rester simple. Et pourtant, il me faudrait l’indépendance de l’écrivain pour suivre, en certaines choses, les voies de la nature. En ce moment, elles me sont interdites. Ne gagnant que juste le nécessaire, je dois me résigner à vivre seul.

Faisons donc des mathématiques, sans cela l’imagination devient trop active. Relisons aussi les Stoïciens, et surtout, méditons leurs principes. Je me sens d’une faiblesse d’âme à faire pitié. Pourtant j’ai fait un progrès que je veux inscrire ; cela m’aidera, peut-être, à persévérer : Je ne grogne plus en me levant.