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MON JOURNAL.


les jeunes gens de notre âge, ne nous eût longtemps retenus, nous serions comme les autres. Si nous avons peu gagné en restant seuls, nous avons aussi moins perdu. Ni appauvrissement prématuré, ni diminution de nous-mêmes par les jouissances vulgaires. Restons donc seuls, mon cher ami ; les faibles ne sont pas propres à vivre parmi ceux qui n’ont que le plaisir en tête ; ils souffrent trop du contact. Un livre, un petit coin : ante focum si frigus erit, si messis in umbra [1]. Avec cela et le nécessaire, voilà ce qu’il faut pour notre vie. Aimons les hommes, mais loin d’eux.

Je sens si bien, par le passé, les inconvénients de leur commerce, que je savoure mon ourserie ; je me réjouis de pouvoir souvent m’y confiner. Je ne méprise pas mes semblables, mais je suis ravi de sentir que je puis très bien m’en passer

A toi,
J. MICHELET.


23 juillet, — J’ai relevé ce matin avec trop de raideur la façon brutale dont M. Frémion a corrigé Gabriel Rocher. Il sait que cet enfant m’est cher par son extrême douceur. Était-ce une manière de me blesser moi-même ? N’importe, surveillons

  1. « Devant le foyer en hiver, à l'ombre pendant la moisson » (Virgile, Ve Églogue).