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MON JOURNAL.

ments. Ce ne sont pas là, en effet, des romantiques.

Au point de vue de ses croyances religieuses, le pauvre homme m’a laissé voir son chagrin d’avoir perdu l’espérance de m’y convertir. Je lui sais gré de me porter assez d’intérêt pour avoir essayé de le faire. Lui me semble bien endormi. L’uniformité de ses occupations[1], cette vie maritale, ces enfants, ce bonheur physique et ces pensées de religion qui, sans pénétrer peut-être bien avant dans son âme, lui servent d’oreiller, tout cela ne sert guère son activité. Il est vieux.

Si peu religieux qu’il me croie, j’amasse à ma manière le bon grain. Ainsi, le mot de saint Marc : les paroles sortent de la plénitude du cœur, m’a vivement touché. Ce mot, pris dans un autre sens que ne l’entendait le Christ, vaut à lui seul toutes les rhétoriques. Comme je le disais à Bodin, on ne saurait mieux exprimer la source de la véritable éloquence. Il faudrait ajouter que cette plénitude du cœur ne s’obtient qu’avec le recueillement de la solitude et surtout la rareté des plaisirs physiques. Les puissances de l’âme et de la volonté ne se rencontrent guère chez ceux qui se prodiguent. Ces biens précieux sont les fruits du sacrifice, des réserves de la vie, même pour les jeunes, quoiqu’ils aient plus à dépenser.

  1. Bibliothécaire à l’École polytechnique.