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MON JOURNAL.


un moment de bonheur très vif. J’ai vu une âme bien née, assez neuve, et tout ouverte aux bonnes impressions qu'on voudra y faire naître. J’ai parlé, peut-être trop, c’est-à-dire trop à la fois. Je suis pourtant excusable, car ce qui dominait, c’était bien le désir d’élever une telle âme à des pensées un peu hautes. Ce serait une précieuse conquête que d’incliner à l’amour de l’humanité un homme riche.

Il venait me demander les moyens d’être éloquent. Voici cette conversation toute de verve : « Sans doute vous n’entendez pas par éloquence cette petite rhétorique qui va être sitôt passée.

Il n’y a qu’un seul bon moyen d’être éloquent, c’est d’avoir une passion ; moyen dangereux si l’on ne sait la bien choisir.

Il y a quatre passions qui peuvent élever l’âme : l’amour de la Femme, l’amour de la Patrie ; celui de nos semblables, enfin l’amour de Dieu. La première passion n’élève que par secousses ; elle enivre plutôt ; c’est comme l’eau-de-vie qui semble donner beaucoup de force. On croirait casser des barres de fer. En réalité, on est au réveil comme Samson après que Dalila lui eut coupé sa chevelure. L’amour, en dehors du mariage, diminue réellement l’énergie physique. Lorsqu’on ne subit plus son ivresse, on se retrouve presque mort ; on boit de nouveau, et, après plusieurs élans où l’âme