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NAISSANCE. — RETOUR DE LA NOURRICE.

La maison, peu élevée, regardait surtout le levant. Ma mère et son petit monde travaillaient au côté nord-est. À l’autre coin, vers le midi, mon père avait son cabinet.

Je commençai avec lui à assembler les grosses lettres de mon alphabet ; car je cumulais double tâche. C’était dans les intervalles de la couture, du tricot, que j’étudiais ; mes frères, leurs devoirs finis, s’en allaient heureux, courir. Moi, je revenais à ma mère.

J’aimais assez cependant à tracer sur une ardoise de grandes barres qu’on appelait des jambages. Il me semblait que je tirais de moi quelque chose qui venait ensuite se placer au bout de mon crayon. Dès que mes barres étaient plus régulières, je m’interrompais pour les contempler. Si mon père me disait en se penchant sur moi : « Allons, Princesse, voilà qui est bien, » je me redressais toute fière.

Mon père avait la voix douce et vibrante. C’était un homme brun, d’un œil tout méridional, noir, avec des sourcils noirs dont les cils en pinceaux adoucissaient l’effet. Chaudement électrique, son regard n’en avait pas moins par moments je ne sais quoi de bon, de tendre et de