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NAISSANCE. — RETOUR DE LA NOURRICE.

main, je marchais, je me promenais. Pas bien loin. Le bout d’une allée faisait l’étendue permise. La vue même était resserrée. Notre maison, au milieu d’une campagne assez boisée d’arbres fruitiers, était ombreuse, et des haies limitaient l’horizon. Les libertés de la ferme que j’avais en nourrice, la gaieté de ma sœur de lait Suzette, la bonté surtout de l’excellente paysanne me manquaient. J’y étais trop bien, traitée comme une princesse (chez nous on me laissa ce nom). Ma nourrice me retrouvant grande, et fière de sa chère pouponne, me rappelait ce temps-là, disant avec vivacité : « Il n’y avait pas assez de soleil pour toi ! »

Grand changement ! Sans parler des bonnes bêtes, de la vache, seconde nourrice, de l’âne complaisant et docile, ces amis que j’avais perdus, — j’avais un travail continu, très-suivi pour ce jeune âge. À six ans, je faisais mes bas, peu à peu ceux de mes frères. Tout cela allant et venant, dans la belle allée un peu sombre. Je n’avais garde d’aller plus loin. J’étais troublée, si, me retournant, je ne voyais plus les volets verts de la maison.