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malgré l’extrême pauvreté du vêtement, se fût assise à côté d’elle, et, de manière ou d’autre, l’aurait fait un peu parler.

« Qu’avez-vous, mademoiselle ? — J’ai la fièvre, madame. Je me sens tout à fait mal. — Voyons… Je m’y connais un peu. Oh ! c’est peu de chose. Dans ce moment, l’épidémie régnante est forte aux hôpitaux. Vous pourriez bien la gagner. Un peu de quinquina peut-être vous mettra sur pied en deux jours. J’aurais beaucoup à repasser. Pour ces deux jours, venez chez moi. Guérie, vous ferez mon ouvrage. » — Cela lui eût sauvé la vie.

Deux jours n’eussent pas suffi. Avec une semaine, elle eût été remise. La dame appréciant ce caractère honnête et sûr qu’elle portait sur son visage, l’eût sans doute gardée davantage. Un peu ouvrière, un peu demoiselle, mieux vêtue, redevenue belle par quelques mois d’une vie douce, elle eût touché plus d’un cœur de sa grâce sérieuse. Le malheur d’avoir été trompée et d’avoir ce joli enfant, bien compensé par sa sage tenue, sa vie économe et laborieuse, n’aurait guère arrêté l’amour. J’ai eu occasion de voir plusieurs fois la magnanimité tendre et généreuse des bons travailleurs dans ce genre d’adoption. J’ai vu un de ces ménages, admirable. La femme aimait, j’ose dire, adorait son mari, et l’enfant, par je ne sais quel instinct, s’était attaché à lui