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jeune grandeur ; mais, à chaque instant, elle éclate.

Tu la mènes au Jardin des Plantes, et elle y rêve les Alpes, les forêts vierges d’Amérique. Tu la mènes au Musée des tableaux, et elle pense au temps où il n’y aura plus de musées, les villes entières étant musées, ayant toutes les murailles peintes à l’instar du Campo-Santo. Aux laborieux concerts d’artistes, elle pressent les concerts de peuples qui se feront dans l’avenir, les grandes Fédérations où l’âme du genre humain s’unira dans l’accord final de l’universelle Amitié.

Tu es fort. Elle est divine, comme fille et sœur de la nature. Elle s’appuie sur ton bras, et pourtant elle a des ailes. Elle est faible, elle est souffrante, et c’est justement lorsque ses beaux yeux languissants témoignent qu’elle est atteinte, c’est alors que ta chère sibylle plane à de grandes hauteurs sur des sommets inaccessibles. Comment elle est là, qui le sait ?

Ta tendresse y a fait beaucoup. Si elle garde cette puissance, si, femme et mère, mêlée de l’homme, elle a en plein mariage la virginité sibyllique, c’est que ton amour inquiet, enveloppant le cher trésor, a fait deux parts de la vie, — pour toi-même le dur labeur et le rude contact du monde, — pour elle la paix et l’amour, la maternité, l’art, les doux soins de l’intérieur.