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Nul rêve de bonheur, nul mirage d’imagination, ne peut balancer tout cela. La veille encore à table, les yeux sur son assiette, elle ose les regarder à peine, de peur de se troubler. On descend au jardin. Elle, non. Sous quelque prétexte, elle reste, elle traverse de chambre en chambre cette maison de sa jeunesse qu’elle va quitter pour toujours. Elle dit adieu à chaque meuble, à toute chose amie, au piano, aux livres, au fauteuil de son père… Mais le lit de sa mère l’arrête… elle éclate en sanglots.

« Quoi donc ! elle n’aime pas ? » — Ne le croyez point. Non, elle aime. Chose bizarre, pourtant naturelle : au moment de le suivre époux, elle le regrette amant. La chambre où elle le rêva, la table où elle lui écrivit, entrent dans ses regrets. Les alternatives orageuses de son amour de tant d’années lui reviennent au souvenir. De son bonheur nouveau, elle jette un regard à ce monde de soupirs, de songes, de vaines craintes, dont se repaît la passion ; elle en regrette tout, jusqu’aux douceurs amères qu’elle trouva souvent dans les pleurs.

Rien ne la touche plus que de voir ses amis d’enfance, personnages muets à qui l’on n’a rien dit, le chien, le chat de la maison, parfaitement informés de tout. Le chien la suit de longs regards ; le chat, morne, immobile, a cessé de manger et reste