Page:Michelet - La femme.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et plus exquise) prépare son breuvage divin. Que de travaux ici, ma fille ! Que ce modeste végétal, ce mauvais petit bois tortu que tu méprisais au printemps, exerce les forces de l’homme ! Dès mars, si tu parcourais l’immensité de la Champagne, de la Bourgogne et du Midi, un quart peut-être de la France, tu verrais des millions d’hommes replantant les échalas, relevant, liant, coupant la vigne, puis buttant la terre autour, et toute l’année sur pied pour mener à bien cette délicate personne. Pour la tuer, un brouillard suffit.

C’est la sévère alternative de la vie et de la mort. Chaque plante meurt et nourrit les autres. N’as-tu pas vu, en automne, vers la fin, quand la saison avait pâli, comme tombaient doucement les feuilles, sans même attendre le vent ? Chacune, en tournant un peu, descendait toute résignée, sans bruit, sans réclamation. La plante (si elle ne le sait distinctement) sent au moins qu’elle a charge de nourrir sa sœur, et qu’il faut mourir pour cela. Donc, elle meurt de bien bonne grâce, se pose, et de son débris alimentant l’air qui l’emporte ou la terre qui s’en pénètre, elle prépare la vie des amies qui viennent la renouveler, la reproduire et la refaire. Elle s’en va consolée, et qui sait ? peut-être joyeuse, de reposer, son devoir fait, et de suivre la loi de Dieu.