Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/99

Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était parole de mourant, parole vraie, disait-on, de ces mots qui s’arrachent quand l’homme, dégagé de tout, n’écoute plus que la vérité. Le héros de la Pologne, celui dont le cœur fut la Pologne elle-même, avouait qu’elle était finie, l’abandonnait au destin, la léguait à son vainqueur.

Kosciusko resta deux ans aux prisons des Russes, puis longtemps en Amérique, et ignora tout. La tradition mensongère eut le temps de se répandre et de s’affermir. En 1805, elle fut reproduite encore dans une histoire par M. de Segur, l’ancien courtisan de Catherine, l’aimable poète qui fit l’épitaphe de son chien. Alors seulement Kosciusko réclama avec force, avec indignation, contre ce mensonge.

Comment, en effet, supposer que ce grand homme, qui était la modestie même, aurait dit cette parole orgueilleuse que, " lui mort, tout était mort, et la Pologne finie ! "

Un tel mot, indigne dans la bouche de tout Polonais, eût été, dans celle de l’homme à qui la Pologne avait remis ses destinées, un crime, une trahison.

Cette réclamation, si juste, passa presque inaperçue, ou fut étouffée. Toute la littérature (qui n’est que copie, routine et redites) répète encore invariablement le mot d’invention russe : finis poloniae.

Voici en réalité comment les choses se passèrent. Kosciusko avait reçu plus de coups qu’il n’en faut pour tuer un homme ; le dernier l’assomma, il ne souffla