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60 canons russes du plus fort calibre. Fersen, à vrai dire, eût pu se dispenser de combattre. De la plaine où il avait établi ses batteries, il rasait tout à son aise la position de Kosciusko. Ajoutez que les Polonais, ayant peu de munitions, ne purent même continuer le feu. La disproportion des moyens de toute sorte était telle entre les deux armées, que Fersen ne daigna pas même monter à cheval ; il resta sans épée. dans son habit de peluche rouge, l’habit le plus bourgeois du monde.

La plus grande difficulté pour les Russes, ce fut d’avancer et faire avancer le canon dans les terrains marécageux où il enfonçait. Mais enfin leur cercle immense resserra, enveloppa de trois côtés la petite armée. L’infanterie polonaise, jeune milice, levée d’hier, eut là une fin sublime. Éclaircie par les boulets, emportée par la mitraille, ce qui en restait soutint, immobile, l’attaque de l’arme blanche, le choc et l’affreuse approche des 14.000 baïonnettes. Un témoin oculaire qui, le lendemain, les vit, déjà dépouillés,.couvrir de leurs grands corps blancs là place où ils combattirent, le sol de leur pauvre patrie si bravement défendue par eux, en eut le cœur déchiré, et garda la plus poignante, la plus ineffaçable impression de douleur.

Kosciusko, essayant de sauver au moins la cavalerie, avait eu plusieurs chevaux tués sous lui ; il finit par monter un mauvais cheval, qui glissa et le fit tomber