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qui voudra ! " Il n’y eut pas un homme qui voulût l’abandonner.

Instruit dans la nuit du 4 au 5 octobre que le général russe Fersen avait passé la Vistule à la faveur d’un grand brouillard, et n’était plus qu’à vingt lieues, il résolut de l’atteindre avant sa jonction avec Suwarow. Il ne communiqua le secret de son départ qu’au grand chancelier Kollontay et au jeune Niemcewicz, qui devaient l’accompagner. Niemcewicz savait si bien qu’il allait à la mort, qu’il ôta de son doigt sa bague et la remit à Potocki : " gardez-la-moi jusqu’au retour, " lui dit-il en souriant.

Bans ses intéressants Mémoires, il fait une triste peinture du pays qu’il traversa dans cette course pour joindre l’ennemi. Les haltes étaient dans des palais où toutes choses, papiers, tableaux, meubles, jonchaient le sol, hachés par le sabre des Cosaques. Quelques vieux portraits d’ancêtres pendaient aux murailles, mais découpés, mutilés, comme la Pologne elle-même ; les pillards s’étaient amusés à crever les yeux de ces vénérables, palatins. Le hasard voulut que le premier de ces palais dévastés où s’arrêta Kosciusko fût précisément celui de la princesse L… C’était maintenant le nom de celle qu’il avait tant aimée !

Il avait 4.000 hommes, Fersen 14.000 ; mais la supériorité de celui-ci était bien plus grande encore, comme artillerie. Les Polonais, qui n’avaient que 20 petites pièces, ne pouvaient pas faire grand chose contre