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on amenait, on provoquait l’orage, et l’on ne créait aucune force qui pût résister. Une insurrection de la Pologne devant et malgré la Russie, une émancipation du nain sous le pied du géant prêt à l’écraser, c’étaient des choses impossibles, si l’on n’évoquait en cette Pologne une puissance toute nouvelle, la nation elle-même.

Un million de nobles gouvernaient quinze ou dix-huit millions de serfs. La bourgeoisie, peu nombreuse, était renfermée dans les villes, lesquelles comptaient pour très peu dans ce grand pays agricole.

Les Polonais, naturellement généreux, et la plupart imbus des idées de la philosophie du siècle, auraient voulu changer cet état de choses. La difficulté de l’affranchissement était celle-ci : c’est que, dans un pays sans industrie, on ne pouvait se contenter de dire au serf : " tu es libre ! " On ne pouvait l’émanciper sans lui créer des moyens de vivre. En lui donnant la liberté, il fallait lui donner la terre.

Plusieurs disciples de Rousseau, grands seigneurs, riches abbés, avaient fait dans leurs domaines de vastes essais d’affranchissement. Non contents de libérer le paysan, ils lui distribuaient de la terre, lui bâtissaient même des habitations. Ces exemples auraient pu être imités aisément par les grands propriétaires, mais plus difficilement par la grande masse des nobles, qui, ayant peu de paysans, peu de terres, auraient fait un tel sacrifice, non pas sur leur superflu,