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loin l’ennemi ; il était au cœur de la pologne. Notre jeune officier se consumait dans ce déplorable repos, voyait très peu le monde. Un jour (en 1776), tout le corps des officiers est invité à un grand bal pour la fête du roi, Kosciusko s’y rend par devoir. Son cœur y est saisi ; une jeune fille s’en empare. Elle l’a gardé jusqu’à la mort.

Sosnowska, c’était son nom, était malheureusement placée, parla naissance et par la fortune, très loin de Kosciusko. C’était la fille de l’hetman de Lithuanie, Joseph Sosnowski, orgueilleux et puissant seigneur, un de ces vieux Polonais, rois sur leurs terres, implacables pour quiconque aurait osé lever les yeux sur leur auguste famille, tels que le vieux palatin qui lia Mazeppa sur un cheval indompté.

Ce fut justement cet orgueil qui ouvrit la porte à Kosciusko. Envoyé avec le corps où il servait, il habita avec son colonel le château du maréchal. Celui-ci n’imagina pas qu’un jeune homme tellement inférieur se méconnût au point d’aimer sa fille. On le laissa la voir sans cesse, lui parler, lui donner des leçons ; il enseigna le français, puis L’amour. Les femmes polonaises, dans un pays si agité, mêlées au mouvement de bonne heure, et du moins entendant toujours parler des grandes affaires du pays, ont un tact remarquable pour apprécier les hommes. Elles les jugent parce qu’elles les font, usant glorieusement de leur empire pour exiger des choses héroïques.