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Ah ! dons du ciel, jamais vous ne fûtes plus nécessaires i jamais vous ne vîntes consoler de plus grandes douleurs !… Faites-leur voir déjà le monde juste et bon que nous aurons un jour.

Cette puissance, plusieurs l’assurent, est dans un homme. Je le crois sans peine, et dans mille ! N’y eut-il pas, dans les captivités des Juifs, dans nos Cévennes et ailleurs, des peuples voyants ?

Belle justice de Dieu ! Ce peuple martelé, scié en deux, comme fut Isaïe, a pris.dans son supplice des ailes prophétiques. Il ne marche plus, mais il vole. Les seuls poèmes sublimes qui aient apparu aux derniers temps sont ces deux cris de la Pologne, la Comédie infernale et la Vision de la nuit de Noël : voix profonde d’un homme qui gémissait sur le vieux monde, et qui, à son insu, tout à coup s’est trouvé prophète.

Ceux qui ont vu encore la funèbre gravure qui représentait Napoléon dans son linceul, couronné de lauriers, mais ayant sous les yeux la carte où la Pologne manque, et s’excusant à Dieu ; ceux-là, dis-je, savent à quelle hauteur d’intuition est l’âme polonaise et combien confidente des jugements de l’éternité.

Nul doute que, dans les profondeurs de ce peuple infortuné qui ne peut même gémir, il y ait bien d’autres intuitions sublimes, de prophétie et de poésie. Ils les tiennent muettes, en eux, pour leur consolation, pour le remède de l’âme.