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et les Slaves, les Roumains du Danube ; elle sauva l’humanité.

Pendant que l’Europe oisive jasait, disputait sur la Grâce, se perdait en subtilités, ces gardiens héroïques la couvraient de leurs lances. Pour que les femmes de France et d’Allemagne filassent tranquillement leur quenouille et les hommes leur théologie, il fallait que le Polonais, le Hongrois, toute leur vie en sentinelle, à deux pas des barbares, veillassent, le sabre en main. Malheur s’ils s’endormaient ! leur corps restait au poste, leur tête s’en allait au camp turc.

Tout homme qui naissait alors en ces pays savait parfaitement qu’il ne mourrait pas dans son lit, qu’il devait sa vie au martyre. Grande situation ! de se savoir toujours si près d’arriver devant Dieu ! Cela tenait les cœurs très hauts, très libres aussi. Quoi de plus libre que la mort ? Vivants, ils lui appartenaient, et ne relevaient que d’elle. On ne gouvernait de tels hommes que par leur propre volonté.

Rien de plus grand que cette république de Pologne. La volonté y faisait tout. C’était comme l’empire des esprits. Ni le roi ni les juges n’ayant de force suffisante pouf assurer l’exécution des jugements, il fallait que le condamné se livrât lui-même, qu’il apportât sa tète.

L’idéal polonais, placé si haut, imposait à la République d’immenses difficultés ; la loi y exigeait des citoyens un effort continuel ; pour état naturel, ordinaire,