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encore au ciel, solitaires, inutiles, promenant mélancoliquement un reste d’existence, une vie morte, pour ainsi parler, qui seulement dit qu’ils ont vécu.

L’ignorance, la préoccupation excessive de ce qui est près de nous, la profonde attention qu’on donne à des objets minimes, en négligeant toute grande chose, ont seules empoché, jusqu’ici, d’observer les conséquences effroyables qu’a eues le meurtre de la Pologne, la suppression de la France du Nord. On en a caché une partie à force de mensonges. C’est un fait prodigieux, et pour humilier à jamais l’esprit humain, que le monde des lumières et de la civilisation ait pu, depuis un demi-siècle, se laisser tromper là-dessus.

Exemple mémorable de ce que peuvent les arts de la pensée, la littérature et la presse, habilement séduites et corrompues, pour éteindre la lumière même, enténébrer le jour, si bien que le monde aveugle en vienne à ne plus voir le soleil à midi.

En ces profondes ténèbres qu’ils avaient faites, les meurtriers sont venus et ils ont bravement juré sur le corps de la victime : " il n’y a pas eu de Pologne : elle n’existait pas… Nous n’avons tué que le néant. "

Puis, voyant la stupéfaction de l’Europe, son silence, et que plusieurs semblaient les croire, ils ont ajouté froidement : " du reste, existât-elle, elle a mérité de périr… S’il y a eu une Pologne, c’était une puissance