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atroces, dont la moindre pourrait amener l’extermination du génie d’un peuple.

Vers 1600, à l’époque où le servage disparaît dans l’Europe, il commence en Russie. Ce peuple, le plus mobile de tous, est incorporé à la terre, enraciné à la glèbe. Et le siècle n’est pas écoulé, qu’à cette fixité du serf agricole s’ajoutent toutes les misères et les abjections du servage.

Vers 1700, au moment où les nationalités modernes se distinguent et se déterminent avec tant d’originalité et de vigueur, Pierre le Grand (ou Pierre le copiste ?) déclare la guerre à la nationalité de sa patrie ; il défend aux russes d’être russes, les tond, en fait des allemands. Une effroyable invasion d’intrigants étrangers s’empare de la Russie. Ils n’en sont pas sortis : ils règnent. Ils ont remplacé la noblesse. Hommes de cour et favoris, bureaucrates et seigneurs, d’une double tyrannie impériale et seigneuriale, ils ont écrasé, aplati l’âme russe. Ils n’ont pu la germaniser ; ils l’ont anéantie.

Voilà la seconde opération. La troisième que j’expliquerai tout à l’heure, la plus cruelle des trois peut-être, est celle qui s’accomplit en ce moment dans la propriété et dans les conditions du servage. Ici encore, et plus que jamais, on verra la Russie marcher, pour la troisième fois, au rebours de l’Europe. Sous son immobilité apparente elle va à reculons dans la barbarie, affreux progrès contre nature ; le servage n’est