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J’avais bien vu des orages. J’avais lu mille descriptions de tempêtes, et je m’attendais à tout. Mais rien ne me faisait prévoir l’effet que celle-ci eut par sa longue durée, sa violence soutenue, par son implacable uniformité. Dès qu’il y a du plus ou du moins, une halte, un crescendo même, enfin une variation, l’âme et les sens y trouvent quelque chose qui détend, distrait, qui répond à ses besoins impérieux de changement. Mais ici, cinq jours et cinq nuits, sans trêve, sans augmentation ni diminution, ce fut la même fureur et rien ne changea dans l’horrible. Point de tonnerre, point de combats de nuages, point de déchirement de la mer. Du premier coup, une grande tente grise ferma l’horizon en tous sens ; on se trouva enseveli dans ce linceul d’un morne gris de cendre, qui n’ôtait pas toute lumière, et laissait découvrir une mer de plomb et de plâtre, odieuse et désolante de monotonie furieuse. Elle ne savait qu’une note. C’était toujours le hurlement d’une grande chaudière qui bout. Aucune poésie de terreur n’eût agi comme cette prose. Toujours, toujours le même son : Heu ! heu ! heu ! ou Uh ! uh ! uh !

Nous habitions sur la plage. Nous étions plus que spectateurs de cette scène ; nous y étions mêlés. La mer par moments venait à vingt pas. Elle ne frappait pas un coup que la maison ne tremblât. Nos