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tent cinquante lieues, le mettent de mauvaise humeur. Quand il n’amoncelle pas sa fureur contre Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, il bat la pauvre Gironde. Elle ne sort pas, comme la Seine, abritée de plusieurs côtés. Elle tombe tout droit en face de l’Océan illimité. Le plus souvent il la rembarre. Elle recule ; elle se jette à droite, à gauche. Elle se cache et dans les marais de Saintonge, et jusque sous les vignes du Médoc, communiquant à ses vins les qualités sobres et froides qui sont l’esprit de ses eaux.

Maintenant, imaginez des hommes assez hardis pour se jeter, au grand débat, entre ces époux, pour aller dans une barque, affrontant les coups qu’ils se portent, chercher le vaisseau timide qui attend à l’embouchure et n’ose s’aventurer. C’est la vie de mes pilotes, modeste, mais si glorieuse, qu’on ne saura la raconter.

Il est facile à comprendre que le vieux roi des naufrages, l’antique thésauriseur de tant de biens submergés, ne sait nul gré aux indiscrets qui viennent lui disputer sa proie. Si parfois il les laisse faire, souvent aussi, malicieux, sournois, il les atteint, se venge, charmé de noyer un pilote plus que d’engloutir deux vaisseaux.

Il y avait pourtant quelque temps qu’on ne parlait point d’accident. L’été, fort chaud, de 1859,