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rins qui traînaient sur ses eaux. Par lui, c’est une personne ; ils y sentent tous une violente et redoutable maîtresse qu’on adore, qu’on veut dompter.

Il aime, il aime la mer. Mais, d’autre part, à chaque instant, il se contient et s’arrête, craignant de dépasser le cadre où il voudrait s’enfermer. Comme Swammerdam, Bonnet, et tant de savants illustres d’âme religieuse, il craint qu’en expliquant trop la Nature par elle-même, on ne fasse tort à Dieu. Timidité peu raisonnable. Plus on montre partout la vie, plus on fait sentir la grande Âme, adorable unité des êtres par qui ils s’engendrent et se créent. Où donc serait le péril si l’on trouvait que la mer, dans son aspiration constante à l’existence organisée, est la forme la plus énergique de l’éternel Désir qui jadis évoqua ce globe et toujours enfante en lui ?

Cette mer salée comme du sang, qui a sa circulation, qui a un pouls et un cœur (Maury nomme ainsi l’équateur), où elle échange ses deux sangs, un être qui a tout cela est-il sûr qu’il soit une chose, un élément inorganique ?

Voilà une grande horloge, une grande machine à vapeur qui imite à s’y méprendre le mouvement des forces vitales. Est-ce un jeu de la nature ? ou bien ne faut-il pas croire qu’il y a dans ces masses un mélange d’animalité ?