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quai, tirée par une corde qui se roule sur un cabestan. Le cabestan, à quatre barres, est fort péniblement tourné par la famille du pêcheur, sa femme, ses filles et leurs amies ; car les garçons sont en mer. On comprend la difficulté. La lourde barque, en montant, heurte de galet en galet, d’obstacle en obstacle, et ne les franchit que par sauts. Chaque saut et chaque secousse retentit à ces poitrines de femmes, et ce n’est point une figure de dire que ce retour si dur se fait sur leur chair froissée, sur leur sein, leur propre cœur.

Je fus d’abord attristé, blessé. Mon premier élan était de me mettre aussi de la partie et d’aider. La chose eût paru singulière, et je ne sais quelle fausse honte m’arrêta. Mais, chaque jour, j’assistais, au moins de mes vœux. Je venais, je regardais. Ces jeunes et charmantes filles (rarement jolies, mais charmantes) n’avaient point le court jupon rouge de l’ancien costume des côtes, mais de longues robes ; elles étaient pour la plupart affinées de race et d’esprit, et plusieurs fort délicates ; elles tenaient de la demoiselle. Courbées sur cette œuvre rude (filiale, et, partant, relevée), elles n’étaient pas sans grâce ni fierté ; leur jeune cœur, dans ce très pénible effort, ne donnait à la faiblesse pas une plainte, pas un soupir.

Ce petit quai de galets, très petit, est encore