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enfants aussi ont passé la nuit en mer. Que rapporte-t-on ? Pas grand’chose. On revient en vie pourtant. Au vent violent de cette nuit, les bateaux embarquaient des lames. On a vu de près la mort. Grande occasion pour l’homme qui se plaignait tant hier, de revenir sur lui-même, de dire : « Mon sort est plus doux. »

Le soir, par le couchant douteux, où des nuages cuivrés montent sur une mer sinistre, il les voit déjà repartir. « N’aurons-nous pas de mauvais temps ? leur dit-il. — Monsieur, il faut vivre. » Ils partent, avec eux leurs enfants. Leurs femmes, plus que sérieuses, suivent des yeux, et plus d’une fait tout bas quelques prières. Qui ne s’y joindrait ? L’étranger fait des vœux lui-même ; il dit : « La nuit sera mauvaise. On voudrait les voir revenus. »

Ainsi la mer ouvre le cœur. Et les plus durs y sont pris. Quoi qu’on en fasse, on se retrouve homme. Ah ! on n’en a que trop sujet ! Toutes les formes de misères s’y trouvent chez des populations braves, intelligentes, honnêtes, qui sont incomparablement les meilleures de notre pays. J’ai beaucoup vécu à la côte. Toute vertu héroïque, qu’on noterait dans l’intérieur comme chose rare, est la vie commune. Et, ce qui est curieux, nul orgueil ! Tout l’orgueil en France est pour la vie militaire.