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La mer, très distinctement, dans ses voix que l’on croit confuses, articule ces graves paroles. Mais l’homme n’entend pas aisément quand il arrive au rivage assourdi par les bruits vulgaires, las, surmené, prosaïsé. Le sens de la haute vie, même chez le meilleur, a baissé. Il est en garde contre elle. Qui aura prise sur lui ? La Nature ? Non pas encore. Adouci par la famille, par l’innocence de l’enfant, par la tendresse de la femme, l’homme reprend d’abord intérêt aux choses de l’humanité. On voit là que les âmes ont des sexes et sentent très diversement. Elle, elle est plus touchée de la mer, de la poésie de l’infini ; mais lui, de l’homme de mer, de ses dangers, de son drame de chaque jour, de la flottante destinée de sa famille. Quoique la femme soit tendre aux misères individuelles, elle ne donne pas aux classes un aussi sérieux intérêt. Tout homme laborieux qui vient à la côte fixe son attention principale sur la vie des hommes de travail, pêcheurs, marins, cette vie rude, hasardeuse, de grand péril, de peu de gain.

Je le vois, pendant que la femme se lève et qu’on habille l’enfant, se promener sur la grève. Par une froide matinée, après une nuit de grande pluie, une à une, les barques reviennent ; tout est trempé, morfondu ; les habits de ces gens dégouttent. Les jeunes