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cette charmante aventure de retrouver dans sa femme une jeune maîtresse émue, si heureuse du retour, ce miracle, est-ce une fiction ! Point du tout. C’est l’agréable spectacle qu’on a très souvent. S’il est rare chez les riches, il ne l’est point dans les familles laborieuses et captives de leurs devoirs. Leurs séparations forcées sont pénibles ; les échappées, qui permettent enfin de se réunir, ont un charme qu’on ne cache point ; on n’y rougit pas d’être heureux.

Quand on connaît la tension prodigieuse de la vie moderne pour les hommes de travail (c’est-à-dire pour tout le monde, moins quelques oisifs), on est trop heureux d’observer ces scènes de joie où la famille réunie dilate un moment son cœur. Ceux qui n’en ont pas diront que c’est bourgeois, prosaïque. La forme importe peu, quand le fond est si touchant. Le négociant soucieux qui, d’échéance en échéance, a sauvé encore la barque où est la destinée des siens, la victime administrative, l’employé qu’usent l’injustice et la tyrannie des bureaux, ces captifs ont quitté leur chaîne, et, dans ce repos trop court, une aimable et tendre famille voudrait leur faire tout oublier. La mère, l’enfant, y sont habiles. De leur gaieté, de leurs caresses, des distractions de la mer, ils s’emparent de l’esprit chagrin, éveillent en lui d’autres pensées.