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J’aime le peuple, et je hais la foule ; surtout la foule bruyante des viveurs, qui viennent attrister la mer de leur gaieté, de leurs modes, de leurs ridicules. Quoi ! la terre n’est pas assez grande ? Il faut que vous veniez ici faire la guerre aux pauvres malades, vulgariser la majesté de la mer, la sauvage et la vraie grandeur !

J’eus le malheureux hasard de passer un jour du Havre à Honfleur sur un bateau chargé, surchargé de ces imbéciles. Dans cette traversée si courte, ils eurent le temps de s’ennuyer et organisèrent un bal. Je ne sais qui (un maître de danse ?) avait sa pochette en poche, et jouait des contredanses devant l’Océan. Il est vrai qu’on n’entendait rien. À peine une petite note aigre grinçait à travers la basse solennelle, formidable, qui grondait autour de nous.

Je conçois bien la tristesse de la dame qui voit en juillet sa chère solitude troublée par cette invasion, tant de fats, tant d’incroyables, de causeuses, de curieuses. La liberté a cessé. La demeure la plus écartée a toute la nuit l’écho des élégantes guinguettes, de café, de casino. Le jour, des nuées d’agréables, en gants jaunes et bottes vernies, papillonnent sur la plage. Une personne seule est remarquée. Seule ? Pourquoi ? On se le demande. On approche, on veut par l’enfant entamer conver-