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plages, grèves et falaises

celle des forts, — celle des âmes trop sensibles qui pleurent sur elles-mêmes, et celle des cœurs désintéressés, qui pour eux acceptent le sort et bénissent toujours la nature, mais sentent les maux du monde, et puisent dans la tristesse même les forces pour agir et créer. — Combien les nôtres ont besoin de retremper souvent leur âme dans cet état qu’on peut nommer la mélancolie héroïque !

Lorsqu’il y a près de trente ans je visitais ce pays, je ne me rendais pas compte de l’attrait sérieux qu’il avait pour moi. Au fond, c’est sa grande harmonie. Ailleurs, sans qu’on se l’explique, on sent une discordance entre le sol et l’habitant. La très belle race normande, dans les cantons où elle est pure, où elle a gardé le rouge, le roux singulier de la Scandinavie, n’a nul rapport avec la terre qu’elle occupe par hasard. Au contraire, en Bretagne, sur le sol géologique le plus ancien du globe, sur le granit et le silex, marche la race primitive, un peuple aussi de granit. Race rude, de grande noblesse, d’une finesse de caillou. Autant la Normandie progresse, autant la Bretagne est en décadence. Imaginative et spirituelle, elle n’en aime pas moins l’absurde, l’impossible, les causes perdues. Mais si elle perd en tant de choses, une lui reste, la plus rare, c’est le caractère.

Si l’on veut sortir un peu de l’anglicisme insi-