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plages, grèves et falaises

la Saint-Jean, où s’ouvre la pêche, vous allez voir surgir des profondeurs l’ascension d’une autre mer, la mer des harengs. La plaine indéfinie des eaux ne sera pas assez grande pour ce déluge vivant, une des révélations les plus triomphantes de la fécondité sans bornes de la nature. Voilà ce que je sens d’avance dans cette mer, et dans les tableaux où le génie en a marqué le caractère profond. La sombre Estacade de Ruysdaël, plus qu’aucun tableau, m’a toujours attiré au Louvre. Pourquoi ? Dans les teintes roussâtres de ces eaux électrisées, je ne sens aucunement le froid de la mer du Nord ; au contraire, la fermentation, le flot de la vie.


Si l’on me demandait néanmoins quelle côte de l’Océan donne la plus haute impression, je dirais : celle de Bretagne, spécialement aux sauvages et sublimes promontoires de granit qui finissent l’ancien monde, à cette pointe hardie qui défie les tempêtes, domine l’Atlantique. Nulle part, je n’ai mieux senti les nobles et hautes tristesses, qui sont les meilleures impressions de la mer. J’ai besoin d’expliquer ceci.

Il y a tristesse et tristesse, — celle des femmes,