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delet raconte qu’une carpe, qu’il garda trois ans dans une bouteille d’eau sans lui donner à manger, grossit cependant de sorte qu’elle n’aurait pu être tirée de la bouteille. Le saumon, pendant le séjour de deux mois qu’il fait dans l’eau douce, s’abstient presque de nourriture, et pourtant ne dépérit pas. Son séjour dans les eaux salées lui donne en moyenne (accroissement prodigieux !) six livres de chair. Cela ne ressemble guère au lent et coûteux progrès de nos animaux terrestres. Si l’on mettait en un tas ce que mange pour s’engraisser un bœuf, ou seulement un porc, on serait effrayé de voir la montagne de nourriture qu’ils consomment pour en venir là.

Aussi celui de tous les peuples où la question de subsistance a été la plus menaçante, le peuple chinois, si prolifique, si nombreux, avec ses trois cents millions d’hommes, s’est adressé directement à cette grande puissance de génération, la plus riche manufacture de vie nourrissante. Sur tout le cours de ses grands fleuves, de prodigieuses multitudes ont cherché dans l’eau une alimentation plus régulière que celle de la culture des plantes. L’agriculteur tremble toujours ; un coup de vent, une gelée, le moindre accident, lui enlève tout et le frappe de famine. Au contraire, la moisson vivante qui pousse au fond de ces fleuves nour-